J.R.R. Tolkien

De son enfance à l'adolescence

      Tolkien naît en 1892 dans l'État libre d'Orange, une ancienne république boer d'Afrique du Sud. Son père, Arthur, descendant d'immigrant allemands spécialisés dans la fabrication de pianos, s'y était installé pour faire fortune dans la banque. Sa mère, Mabel, venait de l'y rejoindre. Puis le 3 janvier 1892, il vint au monde à Bloemfontein en Afrique du Sud. Sa mère veut l'appeler Ronald, son père souhaite John, "comme son grand-père", sans oublier Reuel second prénom d'Arthur. Ce sera donc John Ronald Reuel - raccourci en "Ronald" pour sa famille et, plus tard, sa femme, ou "Tollers" pour ses amis. Il ne restera qu'à peine trois ans  sur le continent africain, le temps de connaître au moins deux péripéties : il fut enlevé un jour par un des domestiques, désireux de montrer son kraal (=hameau) à quoi pouvait ressembler un bébé blanc ; et fut piqué au pied quelques mois plus tard par une tarentule, qui inspira peut-être les nombreuses araignées de ses récits.

      En 1895, Mabel juge le climat est trop chaud pour ses deux garçons -un petit frère, Hilary, était né l'année d'avant-, et décide de retourner en Angleterre. Arthur doit les suivres peu après mais il meurt l'hiver suivant d'un rhumatisme infectieux, avant d'avoir pu les rejoindre. Rapatrié dans les Midlands aurpès de ses grand-parents paternel, le jeune Ronald ne tardera pas à prendre goût aux paysages colorés du Worcestershire. Ce sentiment culminera avec l'installation de Mabel et de ses enfants dans le hameau de Sarehole, à deux lieues du centre de Birmingham. Les deux frères y découvrent le plaisir de la vie à l'air libre, à l'ombre du grand moulin qui dominait cet endroit. Tolkien y développe surtout un goût qui ne se démentira jamais pour la nature inviolée, et en particulier pour les arbres.

      C'est aussi l'âge des premières lectures, de celle qui marquent pour la vie. Ronald dévore ainsi les aventures de Curdie, héros de Goerges MacDonald, et son royaume lointain peuplé de gnomes malfaisants cachés sous les montagnes. Ou le Red Fairy Book, un receuil de contes de fées d'Andrew Lang dans lequel il découvre l'histoire de Sigurd tuant le dragon Fafnir. Lors de ces jours heureux à Sarhole, c'est sa mère qui prend en maisn son éducation et lui enseigne le latin et le français. Mais, à huit ans, il lui faut bien aller à l'école. Or le collège King Edward, où avait étudié son père, se trouve au coeur de Birmingham, à six kilomètres de son paradis campagnard. La famille fait donc route vers la ville, ce qui provoque le désespoir de Ronald ; et se tourne vers le catholicisme après la conversion de Mabel, ce qui provoque la réprobation des Suffield. Mabel s'obstine cependant et commence à fréquenter l'Oratoire de Birmingham, une grande église de banlieue située à Edgbaston. Mais, de santé fragile, elle décède le 14 novembre 1904 après un coma diabétique, laissant ses deux orphelins à la garde du père Francis Morgan. Pris en charge financièrement par leur nouveau tuteur, le père Francis Morgan, les deux frères Tolkien sont confiés à une tante, puis à une pension de famille. Si Hilary se dirige bientôt vers l'agriculture, Ronald montre pour sa part des qualités intellectuelles remarquables. Au collège King Edward, il se passionne pour les langues, dévore Beowulf et Sire Gauvain et le chevalier vert, deux des récits fondateurs de la littérature anglo-saxonne. De quoi lui donner envie d'approfondir ce désir d'ailleurs. 

      Au début de 1908, les frères Tolkien emménagent au 37 Duchesse Road chez Mrs Faulkner, une dame qui habite derrière l'Oratoire et loue les chambres. Parmis les résidents de la maison-née vit déjà là une orpheline de 19 ans : Edith Bratt. Unis par la solitude et leur malheur, Ronald et elle décident à l'été 1909 qu'ils sont amoureux. Dans l'Angleterre d'alors, à peine sortie de l'époque victorienne, cette relation est mal vue, y compris du père Francis Morgan, qui demande à Tolkien de mettre fin à leur romance. Cette rupture forcée, au moins jusqu'à la majorité du jeune homme, ne fera que renforcer leur amour contrarié. En attendant, Tolkien trouve du réconfort dans la société masculine et se lie avec une poignée de jeunes gens -dont Christopher Wiseman et Robert Quitter Gilson-, qu'il retrouve à la bibliothèque de l'école autour d'une tasse de thé. Ils se donnent bientôt le nom de TCBS, pour "Tea Club Barrovian Society". Tolkien y fait l'excentrique, récite des passagers de la Völsunga saga norroise. Parrallèlement, il se met à écrire des vers, peuplés de fées et de forêts.

D'Oxford à l'amour

J r r tolkien      Après un premier échec, sans doute dû à ses peines de coeur, Tolkien réussit en décembre 1910 le concours d'entrée à l'université d'Oxford : une bourse de soixante livres par an lui est alloué pour y étudier. Mais il quitte son école avec horreur. Toutefois, avant de rejoindre la vie estudiantine, il fait à l'été 1911 un voyage en Suisse qui ne sera pas sans importance. Accompagné de son ​​​​​​​frère Hilary, il rejoint avec une douzaine d'autres marcheurs la luxuriante vallée de Lauterbrunnen, dont les prairies vertes et les reliefs escarpés devaient plus tard inspirer certains paysages de la ​​​​​​​Terre du Milieu. Sur le glacier d'Aletsch, il manque d'être pris dans un éboulement causé par la fonte des glace. Il trouve aussi sur ces hauts pâturages une carte postale représentant un vieil homme portant barbe blanche, long manteau et chapeau à lorge bord. Il écrira sur l'enveloppe : "origine de Gandalf".

​​​​​​​      Quelques semaines plus tard, Tolkien fait son entrée à Oxford, cité à laquelle il ancre dès lors son destin. Boursier, le jeune hommeaurait pu pâtir de l'atmosphère aristocratique des collèges de la ville. Mais il a la chance de fréquenter l'Exeter Collège, où une telle ségrégation sociale n'existe pas. S'il souffre rapidement de sa situation financière précaire, il apprécie en revanche la société masculine de l'université, les discussions animées, le plaisir du tabac et de la pipe. Lui, le jeune homme aux si bonnes manières participe même aux "chahut" qui précipitent les étudiants hors de leurs murs. Sociable et bambocheur, Tolkien ne travaille guère, hormis dans une matière qu'il vient de découvrir : la philosophie comparée. Il passe aussi ses soirées à inventer des alphabets, en attendant son vingt et unième anniversaire, date de sa majorité. Ce jour-là, il pourra enfin revoir Edith. Mais elle ne lui répond que pour lui annoncer son mariage prochain avec un certain George Field. Qu'à cela ne tienne : quelques jours ap​​​​​​​rès avoir reçu cette lettre, il prend le train pour Cheltenham, où Edith l'attend sur le quai de la gare. Ils passent la journée dans la campagne, s'assoient sous un point de chemin de fer, et le soir même, Edith décide renvoyer sa bague à George Field. Mieux : après quelques mois, elle accepte même de renier l'anglicanisme pour rejoindre les "papistes", comme les nommes sont tuteur. Mais Tolkien a d'autres soucis en tête, à commencer par cet "absurde langage de conte de fées" qu'il met patiement au point. 

De la guerre aux écrits

      À la fin de l'été 1914, alors que l'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne et que l'Europe fonce vers le gouffre, il écrit un poème, Le Voyage d'Eärendel, première pierre de ce qui devindra bientôt son légendaire. Appelé sous les drapeaux au début de 1915, Tolkien se marie avec Edith avant d'embarquer pour la France, où il rejoint le 11e régiment de fusiliers du Lancashire. Lancé dans l'offensive de la Somme, il y découvre la boucherie du champ de bataille, "l'horreur animale" des tranchées, la douleur de la perte, mais aussi l'amitié et la solidarité. Arrivé à Calais le 6 juin, Tolkien tombe bientôt malade, victime de la fièvre des tranchées, et le 8 novembre il doit être répatrié en Angleterre. Il est soigné puis rechute, plusieurs fois, au point  qu'on le soupçonne de simulation. Mais Tolkien n'en a cure, lui qui trouve le temps, durant sa convalescence, de coucher sur papier les premières pages de qui devindra Le Silmarillion.

      Inspiré par Eddas islandais et le Kalevala finois, ce texte pose les bases d'une mythologie fournie, peuplée d'Elfes et de forces maléfiques. Tolkien y esquisse les premières versions de La Chute de Gondolin et des Enfants de Hurin ; développe l'usage du quenya et sindarin, ces deux langues inventées durant son temps libres, dont il fait des idiomes elfiques. Et oublie presque, en chemin ses devoirs de nouveau père. En novembre 1917, Edith acccouche en effet d'un garçon, John Francis Reuel. 

      L'armistice signé, Tolkien est brèvement embauché à l'élaboration du Nouveau Dictionnaire d'anglais, pour lequel il lui faut rechercher l'étymologie de mots commençant par la lettre W. En 1920, il rejoint l'université de Leed comme lecteur -avant de passer professeur en 1924, le temps pour lui de publier une nouvelle édition du poème en moyen anglais Sire Gauvain et le Chevalier vert, et de poursuivre la rédaction du Livre des contes perdus. Mais, comme souvent par la suite, Tolkien traîne les pieds à l'approche du but, hésite à finir, révise une dernière fois, lance de nouvelles pistes. 

      En 1925, Tolkien décroche la chaire d'anglo-saxon à Oxford, ce qui conduit sa famille, déjà riche de trois enfants -John, Michael et Christopher sont nés, et une quatrième, Priscilla, les rejoindra bientôt-, à emménager à Northmoor Road, où ils resteront dix-sept ans. Professeur impliqué, bien que difficile à suivre en raison de sa mauvaise élocution, Tolkien enseigne d'abord au Pembroke Collège, et rejoindra en 1945 le prestigieux Merton Collège, l'un des plus anciens de la ville. Il profite surtout de la compagnie intellectuelle d'autres enseignants, avec qui il fonde plusieurs clubs, dont les Coalbiters, dédié à la lecture de sagas islandaises en vieux narrois. À partir de 1926, il se lie d'amitié avec C.S. Lewis, ce jolly good fellow qui partage sont goût pour la bière et la littérature. Avec quelques autres, ils formeront bientôt le groupe des Inklings, cercle littéraire épris de littérature fantastique, de chrétienté et de lectures nocturne au pub TheEagle and Child. Mais qu'on ne se méprenne pas : Tolkien reste un père attentif qui, chaque année,  écrit à ses enfants des lettres joliement illustrées, signées au nom du Père Noël. Quand il ne leur invente pas des contes pour expliquer la perte de leur jouets...

      Toutefois, l'essentiel de son activité d'écriture est encore ailleurs. Délaissant pour un temps sa grande mythologie, Tolkien a commencé vers 1930 un récit débutant par une simple phrase, griffonnée au dos d'une copie d'examen : "Au fond d'un trou vivait un hobbit." Voulant amuser ses enfants, à qui il raconte le soir les aventures de Bilbo le Hobbit, il achève bientôt le récit de ce petit homme au courage improbable, égaré en Terre du Milieu avec une troupe du Nains et drôle de magicien. Envoyé à l'éditeur Stanley Unwin, le roman est lu par son jeune fils Rayner. Le Hobbit est publié le 21 septembre 1937 et ne tarde pas à rencontrer un franc succès des deux côtés de l'Atlantique, jusqu'à rafler le prix du Meilleur Livre pour enfants décerné par le New York Herald Tribune. Son éditeur presse alors le Tolkien pour une suite rapide. Il en sera pour ses frais : ladite suite mettra près de douze ans à être écrite, dix-sept à être publiée. Quant à son propos, sombre et épique, il ne sera plus guère destiné aux jeunes enfants... En attendant, la guerre éclate, à nouveau, touchant encore une fois la famille Tolkien. Cette fois, ce sont les fils de l'écrivain qui partant au combat, alimentant son éternelle angoisse, et sa détresse face à ce conflit qu'il déplore en tout point.

      Après d'innombrables tergiversations et revirement éditoriaux Le Seigneur des Anneaux est enfin achevé et paraît en trois tomes, entre 1954 et 1955. Si le succès n'est pas foudroyant, il rassure bientôt l'auteur et ses éditeurs, qui avaient craint un échec financier. Si bien que, dès 1956, Tolkien reçoit un chèque de 3 500£ de droit d'auteur, une somme bien plus importante que ce qu'il gagne à l'université. Effrayé à l'idée de ne pas pouvoir régler ses impôts -très élevés dans l'Angleterre travailliste d'alors-, l'écrivain accepte sans broncher de vendre ses manuscrits à l'université jésuite de Marquette, non loin de Milwaukee, aux Etats-Unis.

      En 1959, Tolkien prend sa retraite de professeur, après un discours d'adieu devant une foule dense. Il espère encore pouvoir achever Le Silmarillion, l'oeuvre cardinale de sa vie. Mais il perd trop de temps en réussites et mots croisés, et voit sa concentration décliner, son investissement faiblir. La mort de C.S. Lewis, en 1963, le frappe comme "un coup de hache porté aux racines", malgré le refroidissement récent de leurs relation. C'est dans cet états que la gloire le saisit. Au milieu des années 1960, Le Seigneur des Anneaux est en effet brusquement adpté par les étudiants américains, en mal de figure héroïque et de genre littéraire nouveau. Le roman se vend à plusieurs milions d'exemplaires en quelque années - de quoi déclencher un "culte déplorable" selon l'auteur, qui deviendra une célébrité mondiale en quelques mois, assailli de lettres d'admirateurs, de coups de fil nocturnes et de visites à son dimicile. Volontiers timide et secret, désireux de protéger la santé chancelante de sa femme, Tolkien décide alors de se retirer avec elle à Bournemouth, petite station balnéaire sans charme du Dorset.

      Si les Tolkien vivent là dans "une maison affreuse" -selon les mots du poète W.H. Auden, après leur avoir rendu visite-, au moins ils y vivent heureux. Surtout Edith, qui ne supportait plus guère les pesanteurs de la vie d'Oxford. Quant à Ronald, il avance encore sur Le Silmarillion, intègre l'Elfe Galadriel et les Ents aux premières versions, dont ils étaient absents, mais se perd dans la masse des manuscrits. D'autant que la terrasse de l'hôtel Miramar, avec ses bon plats et son vin n'est jamais bien loin... Ces vacances prolongées vont toutefois prendre fin de façon brutale : à la fin de 1971, Edith souffre soudainement d'une inflammation à la vésicule biliaire et meurt en quelques jours, de l'âge de 82 ans.

      Veuf, Tolkien rentre à Oxford, où il emménage dans un petit appartement de célibataire et reçoit les honneurs du monde entier. Au printemps 1972, il est ainsi invité au Buckingham Palace, où il est fait commandeur de l'Ordre de l'Empire britanique des mains de la reine Elizabeth II. Peu après sa propre université d'Oxford lui décerne un doctorat de lettres honoraire, non pour son Seigneur des Anneaux mais pour ses travaux en philosophie -ce qui le ravit au plus haut point. Mais à l'été 1973, il tombe malade et part se reposer à Bournemouth, chez un ami médecin. Il est pris de douleurs, et on lui détecte un ulcère gastrique, puis une infection à la poitrine. Le 2 septembre, il monte à son tour sur le dernier navire. Celui qui l'emmènera, comme ses chers Hobbits, vers les lointaines Terres Éternelles.

Date de dernière mise à jour : 15/02/2023

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